Vitiforesterie syntropique

L'agroforesterie appliquée à la vigne

· Agroforesterie,syntropie,vitiforesterie

Nous sommes le 13 juin 2024, dans le décor magnifique du Lavaux au Domaine des Dryades: l'eau turquoise du Léman semble irréelle, les coteaux de vigne s'étalent à perte de vue. Ils étaient jadis recouvert de forêts... Justement, on va y revenir à la forêt. Mais d'abord, faisons un pas de côté. Vous connaissez les fractales, ces formes géométriques répétitives, qui semblent infinies, quelle que soit l’échelle à laquelle vous les observiez, comme la structure des choux romanesco?

broken image

Photo: Structure fractale du chou romanesco

 

L’évolution est un phénomène fractal: on retrouve ses structures à différentes échelles d’espace et de temps: au niveau de l’évolution de l’Univers (rien que ça!), l’évolution du vivant des premiers acides aminés aux baleines, l’évolution des plantes, l’évolution d’un individu de sa naissance à sa mort, ou encore la succession végétale, ce puissant phénomène à la base de nos écosystèmes plusieurs fois évoqué dans nos articles de blog: c’est le mécanisme qui pousse la majorité des parcelles dépourvues de végétation, à évoluer, à se végétaliser, à se complexifier, pour devenir un écosystème forestier.

André Bélard, comme tout être humain a évolué et suit ce principe dans sa vie: ce franco-allemand, après des études techniques en France dans le domaine oenologique, rejoint Changins où il développe ses compétences en viticulture et en oenologie. Peu à peu, il entre dans le domaine pratique de terrain, dans le cadre d’une cave, puis comme oenologue, tour à tour à Cully, puis à Chexbres. Depuis quelques années, notamment grâce à une formation avec l’organisme français “Ver de Terre Production”, André développe de nouvelles compétences dans ce domaine agroécologique : il s’intéresse en particulier à la troisième dimension, vers le ciel et sous le sol. Il se met à planter des arbres dans ses parcelles de vigne, à s’intéresser aux mycorhizes, ces champignons symbiotiques associés à la majorité des arbres, des plantes et notamment la vigne.

broken image

Photo: André Bélard, dans une de ses parcelles de vignes, où pousse aussi du seigle, aussi grand que lui!

 

Dans son parcours, André travaille avec le FiBL, qui s’intéresse à ce domaine des mycorhizes en viticulture également. Travailler avec la vie du sol demande un gros travail sur les couverts végétaux, entre les rangs de vigne, et une profonde réflexion sur les interactions entre les composants du sol, la vie microbienne, la matière organique et les plants de vigne. Ils dépendent de ces interactions avec les mycorhizes non seulement pour produire leur végétation et leurs précieuses grappes, mais aussi pour leur santé, leur immunité, comme nous, nous dépendons de notre microbiote intestinal pour assimiler la nourriture et pour notre santé, et comme les paysages dépend de la biodiversité pour leur résilience. La santé est aussi un phénomène fractal. Mais revenons dans le Lavaux.

broken image

Photo: le couvert de BRF se décompose petit à petit, fournissant une ressource essentielle à de nombreux champignons symbiotiques de la vigne. L'essentiel est invisible.

En 2021, André teste de nouveaux apports de matière organique à base de BRF (bois raméal fragmenté, des branches fraîchement broyées) : le but est de nourrir le sol, et notamment les champignons, de “remplir le frigo” comme il dit. Puis en 2022, dans ses parcelles, des arbres apparaissent: André pratique la vitiforesterie, sur environ 10% de son domaine. Des pêchers, érables, charmes, pommiers, etc. apparaissent dans ses rangs.

broken image

Photo: cet érable champêtre (Acer campestre), joue le rôle d'intermédiaire-partenenaire, entre la vie du sol et la vigne.

Les résultats se font rapidement sentir: la vigne est bien plus résiliente, notamment à la sécheresse. Pas étonnant, car une des fonctions les plus importantes des mycorhizes c’est justement d’accéder à l’eau, en profondeur, là où les racines des plantes ne peuvent pas explorer. Il faut dire qu’André, avec ses 15 ans d’expérience, a du recul et des points de référence solides. La comparaison avec ses autres parcelles est nette, sans parler des parcelles des domaines voisins, où les inter-rangs sont des déserts, encore souvent désherbés au glyphosate.

L’expérience d’André se développe jusqu’au jour où il acquiert son indépendance et lance le Domaine des Dryades, dans la région d’appellation “Saint-Saphorin”, dans le Lavaux, à Rivaz : ce domaine est cultivé en bio, en agroécologie. Les Dryades, ce sont les nymphes liées aux abres. Et ce n'est pas un hasard puisqu'André ne s’arrête pas à sa pratique de viti-foresterie développée jusque-là: il continue la “succession” dans ses pratiques et se lance dans la viticulture syntropique: les inter-rangs ne sont plus juste des couverts enherbés, semés d’engrais verts, ou nourris au BRF, ils deviennent le lieu d’une intense activité végétale dynamique, en croissance: semis de féverole, de seigle, petits fruits, maïs, morus, légumes, mais aussi des groseilles, des morus, des figuiers, etc. Le résultat est impressionnant: le seigle atteint la hauteur d’un humain!

Ces cultures intercalaires sont régulièrement “perturbées”, partiellement taillées ou fauchées. Cette étape est importante pour induire un phénomène de stimulation de croissance dans la culture principale que sont les grappes de raisin, gorgées de sucres, de tannins et de micro-nutriments.

broken image

Photo: ces plants de maïs n'ont pour fonction que de faire de la photosynthèse, et d'être taillés (perturbés) au fur et à mesure de leur croissance, stimulant ainsi leur partenaires, et fertilisant le sol.

Si l’appellation Saint-Saphorin ne limitait pas la production à l’hectare, probablement qu’André pourrait récolter beaucoup plus de raisins mais ça lui ferait perdre l'appellation. Dommage que le système de quotas qui a été mis en place pour augmenter la qualité ne laisse pas de place à l'innovation. Mais une chose après l’autre… André fait un travail de pionnier avec beaucoup d’humilité, en n’oubliant pas que son métier est d’abord de cultiver la vigne, pas de faire du lobbying. Son approche est prudente, mais résolue et bien soutenue par l’expertise des gens de terrain avec qui il travaille.

Nous sommes convaincu que ce phénomène fractal qu’est la “succession” est la clé, pour une intégration efficace entre production viticole, agricole ou arboricole, mais aussi pour y produire de la biodiversité: ces systèmes agroforestiers syntropiques sont beaucoup plus complexes, résilients et productifs -et c'est aussi le cas des jardins-forêts- qu’un système de culture traditionnel. Ils requièrent une évolution, une transition, une nouvelle approche très différente et des savoirs-faire uniques, qui vont encore se développer ces prochaines années. Cette évolution dépend de l'évolution de chacun de nous, de notre façon de s'alimenter, de notre évolution professionnelle, et de notre parcours de vie. Nous espérons que la démarche d’André Bélard et de ses partenaires inspirera d’autres viticulteurs, d’autres agriculteurs ou producteurs, et que le “microcosme“ suisse constitué des différents acteurs politiques, académiques, financiers et institutionnels saura saisir cette opportunité de combiner production et régénération des écosystèmes. La mise en réseau est un élément clé. Non seulement sous le sol, entre les champignons et les plantes, mais aussi entre les experts du terrain, et au final, chacun de nous qui consommons ces produits du terroir.


Et vous, comment avez-vous évolué, personnellement ou professionnellement? Est-ce que vous vous donnez les moyens d’évoluer, de vous former, de sortir de votre zone de confort, de vous remettre en question? Quelles sont les perturbations qui vous font évoluer, qui vous stimulent?

Ce qui est sûr, c’est que pour affronter les défis à venir, nous devons tous faire cet effort et changer, pour nous adapter.
Merci à André pour son accueil à Rivaz et de m’avoir partagé son temps, son expérience et ses élixirs, en toute modération et au plaisir de collaborer dans de futurs projets… à suivre: peut-être que vous pourrez bientôt trouver les meilleures pêches de la région également au Domaine de Dryades: nous lui souhaitons du plaisir et du succès dans cette évolution vers une culture régénérative et productive. Vive l’évolution fractale!

broken image



Pour en savoir plus sur le domaine: