Des passiflores résistent au gel et qui fructifient en Suisse? Des poiriers sans pépins? Des pommes à chair rouge? Non, ce n’est pas de la science fiction ou de la manipulation génétique. C’est le fruit d’un travail de sélection variétale, combiné à de la précision, passion et beaucoup de patience.
Cet automne, j’ai rendu visite à la pépinière Lubera à Buchs dans le canton de St-Gall, après de 5h de voyage en train à travers la Suisse. J’ai pourtant bien failli poursuivre dans ce dernier train au départ de Zürich pour Budapest, attiré par l’envie de découvrir les pays de l’Est, et leurs variétés fruitières, mais j’ai finalement eu raison de descendre à Buchs. Lubera est installée dans la vallée du Rhin, en Suisse, tout proche du Liechtenstein. Dans cette large et profonde vallée alluvionnaire, le sol est riche, la nappe d’eau toujours proche, grâce au Rhin qui coule en permanence, dans sa longue route pour la mer du Nord. L'avenir de cette pépinière semble radieux: une gigantesque serre de 1.6 hectare couverte de panneaux solaires translucides est en construction, sur ce terrain qui appartient à une coopérative d'agriculteur: un modèle peu commun.
Photo: le nouveau complexe de serre solaires (installées par Insolight). Une partie seulement de la lumière est captée par les panneaux, qui ont une densité variable selon la zone de la serre.
Sur deux jours, j’ai donc eu la chance d’être accueilli et guidé par Raphael Maier, spécialiste de la sélection variétale. J'ai pu aussi passer une matinée sur le terrain avec Markus Kobelt, le fondateur de la pépinière et père de nombreuses variétés de Lubera: la fameuse pomme à chair rouge “Red Love®”, ou des éléagnus jaunes ‘Fortunella® Pointilla®’ sont sorti de cette terre rhénane. Depuis plus de 30 ans, Markus Kobelt et son équipe, ont sélectionné environ 130 variétés de plantes, essentiellement comestibles et à destination des jardiniers particuliers.
La méthode de sélection variétale est basée sur un principe simple: on profite des surprises aléatoires offertes par le génome des plantes en procédant manuellement à des croisements successifs par pollinisation entre des parents connus. On laisse ensuite grandir les enfants (les fruits, contenant les graines) et on ne garde que les sujets qui nous intéressent, pour les recroiser avec les parents ou d’autres individus. Ce processus est répété, jusqu’à obtenir des plantes avec des caractéristiques intéressantes, stables et voulues : taille et qualité des fruits, résistance au froid ou à diverses maladies, précocité ou retard à la fructification, taille naine ou vigoureuse, couleurs des fruits ou du feuillage, port érigé, port pleureur, des fleurs sans pétales produisant des fruits sans pépins, etc. C’est évidemment compliqué car certains caractères disparaissent à une génération et ré-apparaissent à la suivante. Le processus est plus rapide sur les plantes annuelles comme les légumes, car elles ont un cycle végétatif rapide et donc une mise à fruit (la montée en graines) sur une année, alors que ce n’est pas le cas pour la majorité des fruitiers et plantes pérennes qui ont besoin de plusieurs années pour fructifier.
Photo: une poire à chair rougissante. Encore quelques générations et croisement successifs seront nécessaires pour obtenir une poire toute rouge, résistante aux maladies et... goûteuse!
Cette méthode n’a rien de nouveau: c’est ce qui a été pratiqué depuis que l’humain sélectionne des végétaux ou des animaux, pour être plus productifs, plus résistants, ou avec des caractéristiques morphologiques particulières. Certaines espèces sont plus faciles à croiser que d’autres, car cette technique dépend de la taille et de l’anatomie des plantes: il est nécessaire de retirer des organes reproducteurs des fleurs pour éviter l’auto-pollinisation qui fausserait le résultat du croisement. Puis le pollen (mâle) est déposé au pinceau sur l’organe femelle, et ensuite la fleur femelle est protégée par un tissu ou un petit filet enveloppant la fleur, pour éviter une autre pollinisation, non-maîtrisée.
La sélection variétale est essentielle: elle permet de d’adapter les cultures, sans recours aux OGM, avec des méthodes basées sur de mécanismes naturels. Une variété obtenue au final n’est pas nécessairement breveteée, car c’est très coûteux et chronophage. Le but est plutôt d’obtenir de nouvelles caractéristiques, et de poursuivre le travail: c’est juste le nom qui est ensuite déposé, donc protégé, comme toute marque.
Il existe un gros avantage dans le processus et la loi qui l'encadre: n’importe quelle variété peut-être utilisée par n’importe qui pour un croisement, y compris des variétés déposées: c’est ce qu’on appelle le privilège de l’obtenteur. C’est une principe de mise en commun qui est essentielle, pour permettre à d’autres créateur.ice.s de bénéficier du travail de leur pairs et à leur tour de procéder à de la sélection. La commercialisation, elle, sous un nom particulier, déposé, est soumise à un contrat avec le propriétaire de la marque.
Markus Kobelt dans le verger de sélection des poires
La première règle pour une sélection réussie est probablement d'avoir de la minutie et de la patience: Markus Kobelt, pendant qu'on goûte inlassablement des pommes et des poires dans le verger de sélection, me dit qu'il faut entre 12 et 20 ans pour terminer le processus pour des plantes pérennes. Car en partant d’une graine ou d’un pépin la mise à fruit n’est pas rapide et on ne voit les premiers résultats qu’après quelques années, même en passant par des portes-greffe. Il faut être patient aussi, car on doit s’assurer que les caractères obtenus sont bien stables, et compatibles avec les différents aléas météos et climatiques, et ceci sur d’autres sites également. Puis, enfin, vient la phase de multiplication, avant la phase de commercialisation.
Photos: en-haut, Markus Kobelt dans les rangs de pommiers et en-bas, Raphael Maier, dans les rangs de sélection de fraises.
Avec Raphael, nous finissons la visite par une dégustation des fruits de la passion issus de passiflores en cours de sélection. Je suis littéralement bluffé: elles n'ont absolument rien à envier à celles que l'on trouve sur nos étalages, toutes en provance de l'étranger, et de pays lointains. Il ne reste plus qu'à développer cette filière en Suisse, qui j'en suis sûr pourrait émerger rapidement.
Photo: préparation des graines de tomates et groseilles, avant le semis pour la prochaine génération.
Photo: Raphael mesure au réfractomètre le taux de sucre des passiflores.
Merci encore à Markus, Raphael et Nadja pour leur accueil.
Et vous, quand est-ce que vous vous lancez dans la sélection variétale?
Tout est question de minutie, d’organisation et de patience.
Bonne sélection! 🌱
Samuel Dépraz, pour l'Association Jardin-Forêt Suisse
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