Régénération naturelle
Une rangée de jeunes pommiers de variétés anciennes le long du chemin qui longe la forêt. Derrière, la lisière est ouverte. La lumière rentre loin dans le sous-bois où diverses essences d’arbres d’âges et de tailles différents cohabitent. Le principe de régénération naturelle de la forêt est le moteur principal : ici pas de plantations, mais des semis spontanés et une sélection, basée sur l’observation, d’arbres destinés à produire du bois de qualité. Un garde-forestier lève la tête, observe le houppier et le pied d’un grand sujet, choisit quelques candidats avec ses “arbres tuteurs” qui l’accompagneront dans leur croissance et martèle d’autres arbres alentour destinés à être abattus.
La forêt de Burtigny, pour les générations futures
Cette gestion de « forêt-jardinée » ou « forêt pérenne » a été mise en place dans la commune de Burtigny : la syndique, Valérie Jeanrenaud, en fonction dès 2015 fait ce choix audacieux au terme d’une réflexion profonde, épaulée par feu son collègue municipal Pierre Hauser, aujourd’hui remplacé par Maude Redard qui partage le même enthousiasme. Et c’est payant. Partant du constat qu’une gestion forestière dite “traditionnelle” impacte fortement l’écosystème, la commune décide de reprendre le contrôle de sa forêt avec un mode de gestion plus proche de la nature qui favorise la régénération naturelle. Le but est de travailler au rythme de la nature, de renoncer aux coupes de grandes surfaces et d’exploiter les espaces pied par pied. Les divisions ou secteurs devront, à l’avenir, être regroupés afin de passer à des unités de gestion plus grandes. On ne coupe plus les arbres, on les cueille. Patrimoine communal important, Burtigny veut préserver sa forêt pour les générations futures et leur laisser les fruits de cette gestion pérenne : la récolte de gros bois de qualité pourra être vendue à de bons prix.
Bien sûr, si la forêt est encore vue d’abord comme une ressource de bois et de lieu de ressourcement pour le grand public, le droit suisse n’est pas encore ouvert à une forêt nourricière au sens des agro-forêts que l’on trouve sur la ceinture intertropicale, comme à Sumatra ou en Éthiopie ou en Amérique centrale, mais cela viendra et prendra certainement du temps. Aujourd’hui, ce sont quasi uniquement les champignons qui forment la seule source de produits alimentaires autorisés en forêt. Il y a encore beaucoup de chemin à faire ! Lors de notre balade, on rencontre les premiers bastions de cette forêt nourricière : des noyers, probablement amenés par des oiseaux ou autres animaux. Cette espèce n’est pas forestière, elle est très pionnière et s’installe dans des clairières ou au bord des chemins. Autre signe que les temps changent : il a été marqué par un tuteur et un petit écriteau. D’autres espèces pionnières se sont implantées çà et là comme un merisier, qui pourrait très bien servir de porte-greffe dans le futur.
Ce chemin de retour vers la forêt jardinée a démarré en Suisse, notamment avec Henri Biolley né en 1858. Cet ingénieur forestier neuchâtelois a inspiré de nombreuses régions à travers le monde avec le développement de la “méthode du contrôle” au cœur de la gestion de “forêt-jardinée” qu’il met en place et qui est toujours appliquée au Val de Travers, où il terminera ses jours.
C’est cette méthode que Valérie Jeanrenaud découvre, en se formant, en partie en autodidacte à travers ses recherches, mais aussi avec Jean-Pierre Sorg, la fondation ProSilva, Jean-Philippe Schutz et surtout Ernst Zürcher, ingénieur forestier, que nous sommes fiers de compter parmi nos parrains et marraines.
A la rencontre des jardins-forêts
Je suis très heureux de voir une métamorphose apparaître : le monde forestier change, le monde agricole change, l’arbre, gentiment, retrouve sa place. Et, cette méthode de forêt-jardinée, vient à la rencontre de l’agroforesterie et des jardins-forêts. Toutes ces nouvelles méthodes et techniques ont le même but : régénérer les écosystèmes, le vivant, de façon réellement durable et de façon inspirée de la nature, tout en redonnant sa juste place à l’Humain.
Merci à Valérie Jeanrenaud et Maude Redard de m’avoir reçu, et de vous permettre, chèr.e.s lecteur.ice.s de découvrir une autre facette de notre monde forestier en mutation et qui donne encore plus de sens au travail de l’Association Jardin-Forêt Suisse.
Samuel Dépraz
Président et cofondateur de l’Association Jardin-Forêt Suisse.
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Pour approfondir:
Forêt-jardinée dans le Val de Travers
Ouvrage de Pro-Silva-helvetica
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Cet érable, bien caché au milieu d’un repeuplement d’épicéas et de sapins blancs aurait été autrefois coupé, car il n’avait “rien à faire là”. Aujourd’hui, c’est un arbre compagnon, qui fait partie de la complexité de l’écosystème forestier. Éloge de la lenteur: un épicéa croît de 1 mm de rayon environ chaque année: un “petit” arbre de 14cm de diamètre a donc 70 ans.
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Le bois mort est en fait du bois vivant: il joue un rôle essentiel pour les différentes formes de vie de l’écosystème forestier: éponge pour l’eau, source de nourriture notamment pour les champignons, habitat pour de nombreuses espèces, terreau fertile pour de nouvelles formes de vie. Une forêt saine doit comporter environ 50 m3 de bois mort à l’hectare pour être en bonne santé, n’en déplaise aux énergéticiens qui imaginent des projets pour “nettoyer” les bois de leur “bois mort” pour alimenter des centrales à biomasse, au mépris de la santé des forêts.
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